#03 Le bouquin du weekend • Le Joueur d'échecs


               Un soir, dans un bar de Vienne, je rencontrai un Syrien nommé Yousef. Il était fasciné par ma passion pour l’écriture, m’avoua qu’il ne lisait plus et me demanda de lui conseiller un livre qui lui redonnerait envie. Après quelques secondes de réflexion, je lui répondis, sûr de moi, « Le Joueur d’échecs » de Stefan Zweig. Publié quelques mois après son suicide en 1942, ce livre est court (il s’agit d’une nouvelle de moins de 100 pages), facile à lire, et la double intrigue est rudement bien ficelée.  

                Le protagoniste embarque sur un paquebot devant rallier New-York à Buenos Aires, lorsque son ami lui murmure la présence de Czentovic à bord, véritable prodige et champion du monde d’échecs. Après quelques jours, lui et plusieurs passagers arrivent à convaincre ce dernier de jouer contre eux. Alors qu’ils se faisaient laminer (et encore le mot est faible), un illustre inconnu se joint à eux en cours de partie. Après quelques coups, il oblige le champion du monde à annoncer « Pat » (synonyme de match nul aux échecs), avant de se retirer. Intrigué, notre héros décide alors d’en apprendre davantage sur ce personnage. Et ainsi débute une mise en abîme magnifique, mêlant les échecs, la dictature nazie et les limbes de la folie.  

                L’auteur de « La Pitié dangereuse » signe avec ce huis clos un ultime chef-d’œuvre post-mortem qui ravira les joueurs invétérés, les passionnés de littérature et mon ami Yousef. Parfait pour tuer le temps lors d’un voyage en train ou sur le trône, je regrette juste quelques tournures de phrases un peu trop longues à mon goût.

 

 

Extraits choisis :  

"McConnor était méconnaissable. Le visage écarlate jusqu’à la racine des cheveux, les narines dilatées comme sous une forte pression, il transpirait visiblement, et depuis ses lèvres serrées un pli coupait en deux son menton tendu en avant, l’air agressif. Je reconnus avec inquiétude dans ses yeux l’éclair de la passion incontrôlée qui d’ordinaire ne s’empare que des joueurs à la roulette, quand pour la sixième ou septième fois ils ont doublé leur mise et ne voient pas sortir la bonne couleur."  

"À partir de cet instant, notre excitation devint immense. Jusqu’alors nous avions joué sans grand espoir ; mais l’idée de briser l’orgueil froid de Czentovic faisait à présent battre nos cœurs plus fort."  

"On ne nous faisait rien… on nous plaçait simplement dans un néant radical, car, c’est bien connu, rien n’exerce sur terre une telle pression sur l’âme humaine que le néant."